Ethnologie en entreprise : pour quoi faire et avec quelle méthode ?

Connue également sous le nom d'ethno-marketing, l'ethnologie en entreprise, ou bien appliquée aux marques ou dans les commerces, apporte un regard aiguisé sur nos modes de consommation et comportements. L'occasion pour moi de revenir sur quelques aspects méthodologiques d'une sémiologie appliquée à notre vie sociale quotidienne.

Comment définir l'ethnologie en marketing ou ethno-marketing ?

Qu'est-ce que l'ethno-marketing ?

L’ethno-marketing est une méthode utilisée par les professionnels du marketing pour comprendre et décrire les comportements des consommateurs. Cette approche s’inspire de l’ethnographie, une discipline anthropologique qui étudie les cultures humaines.

Dans le domaine du marketing, l’ethnographie est utilisée pour observer, analyser et interpréter les comportements des consommateurs. Les professionnels du marketing ont même développé des techniques d’observation spécifiques, comme le traçage, qui leur permettent de suivre les clients à leur insu dans les centres commerciaux pour enregistrer leurs faits et gestes et leur parcours.

Certains cabinets d’études se spécialisent dans le développement de techniques visuelles pour “capter” le comportement des individus. Ils produisent des analyses sur les pratiques, les identités, voire les cultures des consommateurs. L’objectif de l’ethno-marketing est notamment la recherche de régularités culturelles et l’étude de l’importance du phénomène ethnique dans la consommation. Cependant, cette approche n’est pas sans poser des questions éthiques.


Quelles différences entre l'anthropologie et l'ethnologie ?

L’anthropologie et l’ethnologie sont deux disciplines étroitement liées qui étudient les sociétés humaines et leurs cultures. Cependant, elles diffèrent par leur approche et leur champ d’étude.

L’anthropologie est une science qui étudie l’homme dans sa globalité, en prenant en compte tous les aspects de son existence, qu’ils soient biologiques, sociaux ou culturels. Elle s’intéresse à tous les groupes humains, quelles que soient leurs caractéristiques, et peut prendre pour objet d’étude tous les phénomènes sociaux qui requièrent une explication par des facteurs culturels. Un des postulats anthropologiques consiste à dire que l’homme n’est pas lié à un environnement spécifique. En effet, la planète entière s’offre à lui et c’est par sa culture qu’il s’adapte à des milieux divers.

L’ethnologie, quant à elle, est souvent considérée comme une branche de l’anthropologie. Elle se concentre sur l’étude des cultures spécifiques, souvent en se basant sur l’observation directe et participative. L’ethnologie s’intéresse à l’étude comparative des ethnies ou en général des groupes humains. Elle contribue à nous faire mieux connaître l’humanité, en faisant ressortir un certain nombre de différences mais aussi d’invariants structurels ou comportementaux.

Voilà pour les différences "académiques". En réalité, et en langue, les mots "anthropologue" et "ethnologue" se confondent. La distinction entre ethnologie et anthropologie agit comme une fausse frontière. Dans certaines idées reçues, nous avons l’impression que l’observateur-ethnologue reste extérieur à son objet, alors que le sociologue-anthropologue, lui, semble adopter le point de vue des sujets qu’il étudie.

Quel rapport entre la sémiologie, l'anthropologie et l'ethnologie ?

Le sémiologue se passionne pour l'analyse des signes qui l'entourent. En cela, il rejoint la capacité et volonté d'observation de l'ethnologue. Mais il avance également pas à pas, avec méthode et rigueur, comme l'anthropologue. Vous l'aurez compris, les méthodes se rapprochent et sont similaires. Ou plus précisément, si les méthodes peuvent diverger dans les détails, les résultats, eux sont similaires (heureusement !)

Comment appliquer l'ethnologie au monde moderne ?

Petit manifeste pour une sémio-anthropologie !

Une analyse sémio-anthropologique se déroule, au moins, sur quatre niveaux complémentaires.

Les quatre niveaux qui intéressent le sémiologue, l'anthropologue et l'ethnologue !

1°/ Le niveau de l'INTELLECTUS

Ce mot provient du latin. Il signifie, pour les romains, ce qui est intelligible, c’est-à‑dire à ce qui peut être discerné dans l’invisible. Il s'agit de comprendre, par exemple, un espace de vente (magasins, vitrines ou autres), comme un système de signes.

On reparlera ici, à cet égard, quelques concepts et définitions proposées par Ferdinand de Saussure. Selon ce visionnaire de génie, la langue n'est plus à considérer d'un point de vue diachronique (dans le temps), mais bien synchronique (comme un système fermé). La langue est ainsi

un système de signes autonomes, c'est «un système de valeurs pures». La langue surgit lorsqu'il y a rapprochement des deux masses amorphes que sont réciproquement la masse amorphe des idées confuses et celle du son.

Masses amorphes et système de valeurs pures décrits par Saussure

Notons toutefois que la signification d'un signe provient de sa situation d'avec les autres signes. Le signe en lui-même n’a pas de signification, c’est la place qu’il occupe au sein du système qui lui donne du sens. Ainsi, «chaque terme linguistique est un petit membre, un articulus où une idée se fixe dans un son et où un son devient le signe d'une idée»

Valeur différentielle des termes selon Saussure

Or la valeur d'un articulus ne surgit que par la coprésence d'autres articuli. En effet, «la langue est un système dont tous les termes sont solidaires et où la valeur de l'un ne résulte que de la présence simultanée des autres». Le signe linguistique est donc arbitraire et différentiel.

Un autre point important proposé par Saussure est également la dichotomie paradigme versus syntagme. Saussure avance l'idée qu'un terme soit «le centre d'une constellation c'est-à-dire le point convergent d'autres termes coordonnés dont la somme est indéfinie». La langue est un système de signes, un ensemble de relations définissable sur deux axes : l’axe syntagmatique (celui des associations) et l’axe paradigmatique (celui des possibles).Le rapport in praesentia (syntagme) est permis par la forme linéaire du langage humain qui découle de son caractère vocal.

Un mot est toujours à la rencontre du paradigme et du syntagme

Ces schémas sont extraits du Cours de Linguistique Générale, 1916.

2°/ Le niveau du SPIRITUS

Pour Platon, il s'agit aussi de la "Psyché", c'est-à-dire de l'esprit (sachant que dans le grec biblique, "psyché" se rapprochera de "pneuma", c'est-à-dire "souffle"). Il s'agit ici de considérer l'ensemble des signes comme porteur d'un mythe fondateur. Les signes deviennent des symboles et s'associent pour créer des récits, briques du monde du Sens. On touche ici à la dimension SACRÉE de l'organisation.

De ce point de vue là, l"étymologie des mots est souvent porteuse d'un sens originel, voire sacré :

Dans l’émission radiophonique «Les Racines du ciel», Annick de Souzenelle nous propose une lecture dépoussiérée et authentique de la Bible. Elle fait émerger des lois ontologiques, une métanoïa comme un chemin de vie intérieur.

Revenons sur le mythe d’Adam et Ève. Il y a une vidéo assez humoristique où l’on voit un Africain remettre en cause le mythe : « Il y a des gens qui disent qu’Adam et Ève ont existé, que c’est en Afrique, j’ai dit aux gens que non. Adam et Ève ne peuvent pas avoir existé en Afrique. Pourquoi ? Nous n’avons pas les pommes ça c’est la première chose (...) et puis si Adam et Ève étaient des Africains, ils n’auraient pas mangé la pomme, ils auraient mangé le serpent ! »

Je ne sais pas si cette vidéo est un fake. En tous cas elle est drôle et illustre un phénomène : prendre les textes sacrés au pied de la lettre ! L’œuvre d’Annick de Souzenelle est à l’inverse. Voici la lecture qu’elle en propose : Ève ne naît pas de la côte d’Adam, elle est un autre côté. Adam et Ève sont les deux polarités, masculine et féminine, de l’Être. En effet, le mot « mâle » signifie en hébreu « se souvenir », et le mot « femelle » renvoie aux « cieux voilés » : Ève n’a jamais été une côte ! Le terme hébreu se traduit par « côté ». C’est la grande aventure de la conscience, renouer ces deux côtés intérieurs : l’accompli (le dévoilé) et l’inaccompli (le voilé). Voici une lecture dont le sens est beaucoup plus profond que l’image infantilisante et dévoyée de l’imaginaire biblique. Extrait du livre Anti Bullshit, Eyrolles.


Si vous souhaitez en savoir plus sur la question du Sens, notamment à l'échelle de notre société et appliquée au monde des entreprises, vous pouvez lire cet article qui décrit les aspects de la post-modernité. On y comprend que le "travail" (dont chacun connait l'origine étymologique comme instrument de torture) est devenu la réalisation de "son oeuvre (d'art)", enjeu post-moderne s'il en est.

3°/ Le niveau de l'ANIMA

L'anima c'est le "souffle vital", la "respiration", on peut également parler du "supplément d'âme" qui habite chaque organisation humaine. De ce point de vue là, les distinctions claniques organisent les tribus autour de totems, comme autant d'archétypes héroïques. On touche ici à la dimension IDENTITAIRE du groupe.

Le sociologue Michel Maffesoli en a fait sa théorie centrale. Selon lui, les sociétés sont peu uniformes, mais plutôt constellées de tribus, centrées autour de valeurs communes :

Le mot « tribu » employé à l’époque, était une sorte de « provocation » (pro vocare : appeler en avant, nous sortir de nos lieux communs. Métaphore simple : dans les jungles, stricto sensu, la « tribu » permettait de serrer les coudes, de lutter contre l’adversité extérieure. Dans les « jungles de pierre » que sont nos mégapoles, la « tribu » postmoderne repose sur le partage d’un goût (sexuel, musical, sportif, culturel), et ainsi permet de « serrer les coudes ». Internet aidant, elle favoris le partage, l’échange, la solidarité. Le Temps des tribus.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les archétypes de marque, c'est ici : pourquoi faire de sa marque un héros.


4°/ Le niveau du corpus

Il s'agit du niveau le plus incarné, celui des comportements répétitifs qui nous relient et fondent le sens du collectif. L'analyse porte sur les signes comme faisant du sens au sein de rites et rituels qui nous définissent. On touche ici à la dimension COMPORTEMENTALE des individus.

Dans son dernier ouvrage, le sémio-anthropologue Pascal Lardellier nous rappelle la portée essentielle des rites :


Et dans « spiritualité », il y a « ritualité », serais-je tenté de rappeler. Pas évident à admettre, dans une époque pensant qu’elle est désacralisée, et délivrée de la férule des religions. Des sociétés autres que la nôtre sont encore totalement organisées autour de leur rapport à un sacré omniprésent (Inde, Asie, Afrique à des degrés divers…). Ici, en Occident, ce sacré se donne à vivre sur un mode mineur, il est implicite, mais il est bien présent, comme un filigrane culturel, comme un imaginaire encore puissant.

(...)

Plus largement, les rites sont des petits moments répétitifs et privilégiés, auxquels on revient régulièrement, car ils assurent le passage et la transition, articulent du sens sur le cours des choses, tout en produisant de la mémoire et de l’appartenance. En écho, résonne la suite de la lumineuse définition de Saint-Exupéry, qui fait dire au renard : « Si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur. Il faut des rites. » Oui, c’est le rite, précisément, qui dicte le choix du moment et de ses couleurs. Eloge de ce qui nous lie : l'étonnante modernité des rites.

Une application concrète de la sémiologie et de l'anthropologie dans notre vie quotidienne : la visite d'un Apple Store

La sémio-anthropologie est donc une discipline passionnante, qui permet de faire "émerger le sens sous le sens", comme pourrait le dire Roland Barthes. Il s'agit de voir ce que les autres ne voient pas. En voici pour exemple l'immersion au sein d'un espace de vente particulier : l'Apple Store. Pascal Lardellier développe les différents aspects, qui expliquent, entre autres, le succès de la marque.

Les Apple stores ont été conçus comme de nouvelles églises, autour d'une spatialité particulière et d'un récit biblique. Quelques signes pour vous en convaincre ?

  • Le logo Apple avec la pomme croquée,

  • Les panneaux lumineux recouverts d'images, semblables aux vitraux des cathédrales ;

  • Le Genius bar conçu comme un autel ;

  • La boîte de l'iphone qui s'ouvre en 5 à 7 sec par appel d'air > cette boîte impose sa temporalité, et instaure sa dramaturgie > on détient entre les mains une relique (reliques de contacts).

Pour lire le texte en intégralité de Pascal Lardellier, c'est ici.

Vous l'aurez compris, le mélange de la sémiologie et de l'anthropologie détonne : ces deux disciplines reines des Sciences de l'Information et de la Communication (SIC) permettent de comprendre les enjeux sous-jacents de la communication. Ces derniers ne sont pas toujours dits, énoncés, visibles, voire conscients. Aussi convient-il de vous faire accompagner. Si vous souhaitez en savoir plus sur les applications de la sémio-anthropologie en entreprise - je pense également à la Raison d'être de la Loi Pacte - vous pouvez me contacter.

Elodie Mielczareck

ELODIE MIELCZARECK est sémiologue. Après un double cursus universitaire en lettres et linguistique, elle s'est spécialisée dans le langage et le « body language ». Également formée aux techniques de négociation du RAID et au neurocognitivisme, elle est conférencière sur le thème du non-verbal et de l'intelligence relationnelle, conseille des dirigeants d'entre-prise et accompagne certaines agences de communication et de relations publiques internationales. Très régulièrement sollicitée par les médias, elle décrypte les tendances sociétales de fond, ainsi que les dynamiques comportementales de nos représentants politiques et autres célébrités. Elle est l'auteure de Déjouez les manipulateurs (Nouveau Monde, 2016), de La Stratégie du caméléon (Cherche-Midi, 2019), de Human Decoder (Courrier du Livre, 2021), et de Anti Bullshit (Eyrolles, 2021).

https://www.elodie-mielczareck.com
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