Et si on parlait de la TRANS- ? Transidentité, transracialisme, transgenre et transclasses

Sexuation et genre dans nos sociétés

Représentations des hommes et des femmes

Comme vous le savez peut-être, en plus de l'analyse sémiologique "classique", j'utilise beaucoup les notions de "mythe fondateur" et d' "archétypes" pour comprendre le positionnement stratégique - le plus souvent sous-jacent et inconscient - d'une entreprise ou d'une marque.

Or un phénomène actuel m'interpelle : il s'agit de nos représentations du féminin et du masculin. C'est un thème sur lequel je me suis particulièrement penché :

Je partage donc cette réflexion dans cet article, nourrie par plusieurs années de recherche sur ce sujet de la représentation des genres. Thème passionnant, que les marques et entreprises peinent à s'approprier. Sans doute parce que le phénomène de la "trans-" reste :

  • fluctuant (de quoi parle-t-on exactement ?,

  • polymorphe (plein de manifestations différentes et variées),

  • synchrone (pas encore de recul) ;

Dans cet article, j'aimerais évoquer quelques phénomènes trans-, qui remettent en cause (ou font évoluer), me semble-t-il, nos représentations collectives du féminin et du masculin.

L'animus et l'anima selon Jung

Une vision dichotomique de la Psyché

De manière très succincte, je vais présenter la distinction opérée par Jung entre l'animus et l'anima. Vous pouvez télécharger ici un texte plus détaillé si vous le souhaitez. Selon Jung, la psyché humaine s'équilibre entre deux forces :

  • l'animus : force active et "masculine", exploratrice voire guerrière, qui renvoie à la figure du Père. Les archétypes du "brigands", ou de l'athlète puis du "sachant / savant" en sont une déclinaison ;

  • l'anima : force passive et "féminine", introvertie voire mystérieuse / maléfique, qui renvoie à la figue de la Mère (bonne et mauvaise). Les archétypes de la bonne fée, de la marâtre ou de la Vierge en sont une déclinaison.

Chaque être humain est invité à reconnaître la part d'animus et d'anima qui l'animent. Les garçons étant, généralement, davantage conscient de leur animus, et les femmes de leur anima.

Les limites de la pensée jungienne

On peut toutefois s'interroger sur cette répartition dichotomique opérée par Carl Gustav Jung. En effet, elle reprend certains clichés et stéréotypes sur les femmes et ancrés à l'époque, dont la passivité. Or l'écrivain Jean Shinoda Bolen, elle-même jungienne, précise que de nombreux archétypes féminins sont actifs (dont les figures d'Artemis et d'Athéna, par exemple). L'anima serait donc composée, elle aussi, de cette composante guerrière et extravertie. Elle ne serait pas le propre du "masculin" et de l'animus...

Le débat reste ouvert. Vous pouvez me donner votre avis en commentaire.

Le phénomène de trans-

Revenons aux phénomènes qui m'intéressent. Il me semble que la notion de trans- remet en cause cette dichotomie jungienne. Peut-être faut-il davantage envisager ces phénomènes comme étant un spectre ou un continuum ? Plutôt qu'en distinction catégorielle, comme le propose le carré sémiotique par ailleurs.

carré sémiotique transgenre / sexuation / masculin / féminin / asexualité

Trois phénomènes me semblent révélateurs de cette évolution dans nos perceptions de genre : la trans identité, le transnationalisme (moins connu), et le trans-spécisme (encore moins connu).

A- La transidentité ou le transgenre

Esquisse de définition

Le phénomène est vaste. Il recoupe plusieurs dimensions. Et au moins deux.

1- Les personnes qui ne se retrouvent pas dans le genre assigné à leur naissance. Par exemple, être né avec un sexe masculin mais se vivre / se ressentir comme étant une femme. La série Netflix "Untold" est revenu, par exemple, sur cette évolution de Caitlyn Jenner. Après un parcours olympique, Caitlyn a décidé de franchir le cap pour devenir une véritable icône post-moderne.

La série Untold de Netflix revient sur le parcours de Caitlyn Jenner

2- les personnes qui se considèrent non-binaires, c'est-à-dire hors du cadre de référence Homme / Femme. Par exemple, dans cette séquence Arrêt sur Images, qui a fait parler d'elle, l'un des invités est non-binaire. A titre personnel, je ne sais que penser de cette vidéo... je partage le malaise de Daniel Schneidernman, en même temps j'entends la souffrance de l'invité. Cette séquence, compliquée, est en tous les cas symptomatique de notre regard perdu devant l'inconnu, ou bien le "pas encore connu". Vous pouvez également me laisser votre avis en commentaire sur cette séquence.

Etude de cas : la dernière campagne Calvin Klein

La nouvelle campagne Calvin Klein a fait polémique. Elle nous rappelle les heures provoc' de Benetton : C'est la première fois que l'on voit un homme enceint. Oui, la première fois ! Il ne s'agit pas d'un photo montage avec un homme qui a un coussin sous un t-shirt. Ici, il s'agit d'un parcours trans-. C'est ce que je trouve intéressant.

Par ailleurs, au-delà de la dimension politique - que je ne souhaite pas développer ici - et qui ouvre un nombre certain de questions :

  • une campagne pub mercantile peut-elle s'approprier le champ sociétal ?

  • la place du "wokisme" dans le monde et dans la com'.

Quoiqu'il en soit, ces nouveaux signes / symboles émergeant sont vraiment ceux d'une post-modernité où l'hybridation renverse totalement nos codes (ceux de la modernité). Une tendance que l'on peut observer un peu partout, notamment dans le champ politique, le fameux "ni de droite, ni de gauche" ou "et de droite et de gauche".

L'homme enceint de Calvin Klein

B- La trans-nationalité ou transition raciale

Phénomène moins connu. Il s'agit de vouloir changer de nationalité d'origine. Vous pensez ne jamais avoir vu cela de votre vie ? Et pourtant... repensez à toutes les opérations de chirurgie de Michael Jackson ? Au fur-et-à-mesure, sa peau s'est blanchie, révélant une relation complexe à son identité. Toutefois, il semblerait que ce blanchiment de la peau face suite à un problème de santé : le vitiligo qui empêche la pigmentation de la peau. Le débat reste ouvert.


Phénomène plus récent, le cas de ce jeune Youtubeur qui ne se reconnait pas dans son identité caucasienne. Oli London réalise donc une transition raciale par la chirurgie esthétique. Yeux bridés, nez plus fin, ce dernier souhaite correspondre à l'imaginaire du visage coréen. Il explique :

Je sais que beaucoup de gens ne le comprennent pas, mais je m’identifie en tant que Coréen, je ne m’identifie pas comme Britannique, et maintenant j’ai l’air Coréen, je me sens Coréen. (…) C’est ma culture, mon pays, (…), j’ai enfin eu le courage d’aller au bout de ma transition raciale, et j’en suis très heureux. (...) J’espère que cette vidéo encouragera d’autres jeunes à toujours faire ce qui les rend heureux dans la vie, c’est mon message, soyez qui vous voulez être.

C- Le xénogenre

Dernièrement, Delphes (alias Hildegarde) revendique une interrogation sur l'espèce humaine. Bien plus qu'un déguisement, ses prothèses, maquillages, et habits lui permettent un champ d'expression et de revendications. Elle ne se reconnaît pas dans l'espèce humaine et lui préfère l'incarnation élfique. Un choix artistique et politique :

" quand je vois ce que l'on fait à cette planète, je ne veux même pas appartenir à cette espèce".

Quitter le champ des représentations de l'Homo Sapiens, qui l'aurait cru ? On peut même parler, comme certains le font, de "post-humains"...

Des représentations et un imaginaire trans- encore absent dans le discours collectif

Dans un prochain article sur la post-modernité, je reviendrais sur la concordance entre notre époque et ces phénomènes trans- évoqués ci-dessus. Pour l'heure, il est surprenant de constater que les marques (voire les entreprises) restent très fidèles aux stéréotypes de genre. Même les publicités pour parfums, maquillage et l'horlogerie semblent frileuses à investir l'imaginaire -trans.

Un autre point de vue sur la question est de considérer qu'il ne faut pas pas forcer les choses, la publicité restant le reflet de la société (et non l'inverse : point à débattre, et débattu dans la Commission "Images des Femmes dans les Médias" citée ci-dessus). Finalement, ces phénomènes -trans peuvent être vus comme symptomatiques de notre société post-moderne. Le phénomène d'hybridation et l'inversion des valeurs en sont caractéristiques.

Une autre question reste ouverte. Celle de savoir si les phénomènes "trans-" remettent en cause l'opposition masculin / féminin (en créant autre chose) ou continuent d'alimenter (et de consolider) un spectre qui va du masculin au féminin. Il semble que viennent s'opposer ici même, sur cette problématique, les différents courants idéologiques actuels... Et vous, qu'en pensez-vous ?

Le phénomène trans- ne concerne pas seulement la question du genre ou de la sexualité : si on parlais des "transclasses" ou transfuge de classe ?

C'est le nom donné aux personnes qui quittent leur milieu social d'origine. Ce mouvement peut se faire dans les deux sens :

- "positif" (le revenu augmente), on l'associe alors au terme de "parvenu" ;

- "négatif" (le revenu diminue); on l'associe alors au terme de "déclassé" ;

Chantal Jaquet, philosophe, a proposé ce concept dans son ouvrage "Les transclasses ou la non-reproduction" (2014). Le concept de "transclasse" lui permet d'apporter un nouveau regard sur les théories de Bourdieu et Passeron qui évoquaient, eux aussi, la question de la reproduction sociale.

Comprendre la reproduction implique aussi d’analyser les causes qui l’enraye ponctuellement. Ça permet de comprendre les écarts, car je ne parlerai pas d’exceptions miraculeuses, et de comprendre comment les rapports de force peuvent jouer pour reproduire ou ne pas reproduire.

(...)

Les trajectoires des transclasses obéissent à un faisceau de causes que j’ai appelé complexion. Parmi ces configurations figurent des rencontres, des situations socio-économiques, des modèles alternatifs. Tout cela montre bien que le parcours n’est pas le fruit d’un mérite intrinsèque. Un enfant en naissant n’a rien et n’est rien. Il devient ce qu’il est par l’éducation, par ce dont il hérite par sa famille. (Chantal Jaquet)

Vous pouvez creuser ce sujet des transclasses en écoutant l'émission de France Culture ici. Dernièrement, le Prix Nobel de Littérature 2022 Annie Ernaux a également relancé ce thème du transfuge de classe en littérature. D'autres auteurs contemporains l'ont fait : Didier Eribon, Edouard Louis ou Nicolas Mathieu, pour ne citer qu'eux. Entre "vengeance", "culpabilité" et "honte", ceux là expriment une conscience aigüe des frontières sociales. Cette notion a, particulièrement, été théorisée par Bourdieu dans La Distinction :

Elodie Mielczareck

ELODIE MIELCZARECK est sémiologue. Après un double cursus universitaire en lettres et linguistique, elle s'est spécialisée dans le langage et le « body language ». Également formée aux techniques de négociation du RAID et au neurocognitivisme, elle est conférencière sur le thème du non-verbal et de l'intelligence relationnelle, conseille des dirigeants d'entre-prise et accompagne certaines agences de communication et de relations publiques internationales. Très régulièrement sollicitée par les médias, elle décrypte les tendances sociétales de fond, ainsi que les dynamiques comportementales de nos représentants politiques et autres célébrités. Elle est l'auteure de Déjouez les manipulateurs (Nouveau Monde, 2016), de La Stratégie du caméléon (Cherche-Midi, 2019), de Human Decoder (Courrier du Livre, 2021), et de Anti Bullshit (Eyrolles, 2021).

https://www.elodie-mielczareck.com
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