Psychopathes en entreprise : comment les reconnaître et pourquoi ils prennent le pouvoir ?
Mais pourquoi sont-ils si nombreux ? S'ils représentent 1 à 4% de la population générale, étonnamment ce type de profil explose lorsque l'on arrive dans les strates les plus importantes de l'entreprise. Aux commandes, les psychopathes modèlent l'entreprise à leur image. A moins que ce ne soit l'inverse ? Décryptage.
A quoi reconnait-on un psychopathe ?
Comportement et attitude du psychopathe
À son comportement ! Là je vais plutôt décrire des attitudes. Mais si la question du body language et non verbal vous intéresse vous pouvez lire cet article ou bien rejoindre la prochaine Master Class, elle est sur deux jours, ce qui va me permettre d'approfondir le sujet.
Si l'on se fie à la bible des psychologues, le fameux DSM 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), en voici un joli portrait :
« Ils sont fréquemment trompeurs et manipulateurs afin d’obtenir un profit ou un plaisir personnel (par exemple pour obtenir de l’argent, du sexe ou du pouvoir). La caractéristique essentielle du trouble de la personnalité antisociale est un schéma envahissant de mépris et de violation des droits d’autrui, qui commence dans l’enfance ou au début de l’adolescence et se poursuit à l’âge adulte. Ce schéma a également été désigné sous les termes de psychopathie, sociopathie ou trouble de la personnalité dyssociale. »
Je reviendrai dans ma Master Class sur les différences entre psychopathie, sociopathie et perversion narcissique. Un peu longue à expliciter ici, il faut savoir que cette distinction est plus ténue qu'il n'y paraît.
Par exemple, les termes "psychopathie" et "sociopathie" réfèrent parfois aux mêmes faits, mais le premier dans un champ clinique, alors que l'autre apparaît davantage dans un champ sociologique. D'autres chercheurs maintiennent toutefois la distinction, en insistant sur l'aspect plus impulsif du sociopathe. Mais vous le voyez, les nuances sémantiques sont parfois propres aux auteurs et chercheurs, ce qui en complexifie parfois la compréhension.
Les 5 traits caractéristiques ou "red flags" de la personnalité psychopathique
Quoiqu'il en soit, voici les 5 traits comportementaux de la psychopathie qui me semblent les plus marquants :
L'absence de remords et de culpabilité
L'egocentrisme et le sentiment de supériorité
Le mensonge et la manipulation
Le manque d'empathie
Le besoin de stimulation constant
Cela vous rappelle quelqu'un.e ?
Je mets volontairement le féminin, pour faire un lien avec ma propre histoire.
Nous allons voir maintenant comment ce type d'attitude est valorisé en entreprise.
Pourquoi et comment les psychopathes dirigent les entreprises ?
Du dirigeant au manager : tout ce qui brille et/ ou a du pouvoir attire les psychopathes
Je sais que ces quelques lignes ne vont pas faire plaisir à tout le monde. Mais je les écris tout de même : il existe une zone de recoupement assez évidente entre les traits d’un psychopathe et ceux de nombreux managers et dirigeants modernes : sans remords, dépourvus d’empathie, avides de pouvoir et charismatiques. On retrouve bien notre liste précédente.
Ils savent nous en mettre plein la vue ! Parfois même se montrer chaleureux. Fallon insiste sur le fait que certains psychopathes sont "pro-sociaux" et donc plutôt sympathiques à plusieurs égards. C'est d'ailleurs pour cela que nous nous faisons "avoir". S'ils n'étaient que froids et calculateurs sans facade ou sans capacité à feindre les émotions ou le lien social, ils ne pourraient pas accéder aussi aisément en haut de la pyramide.
En effet, ces comportements « naturels » chez les psychopathes – indifférence au ressenti d’autrui, goût du risque élevé, absence de conscience morale, charisme et désir intense de domination – peuvent correspondre aux qualités attendues d’un leader efficace. Dans un environnement compétitif, leur assurance froide et leur audace peuvent passer pour de la confiance en soi et de la vision stratégique, tandis que leur charme manipulateur est pris pour du charisme inspirant ! C'est toute la difficulté.
Allons plus loin, ils sont même applaudis et récompensés pour leur capacité à prendre des décisions très rationnelles, sans flancher.
Christian Bale dans le film “American Psycho”
Psychopathes, rois des organisations
Les organisations attirent de tels profils. En effet, de nombreux comportements propres aux psychopathes les rendent attirants pour les organisations. Pourquoi ? Armés d’une ambition sans limites et d’un sang-froid à toute épreuve, ces individus gravissent les échelons plus aisément que d’autres. Leur absence de scrupules les libère de freins moraux qui retiennent la plupart d’entre nous.
Alors que la majorité éprouve culpabilité ou remords à exploiter ou tromper autrui, les psychopathes, eux, ne ressentent aucune culpabilité : ils se perçoivent en « winners » et s’efforcent de convaincre le reste du monde que « pour gagner, il faut être comme eux ». Cette attitude leur confère un avantage certain dans des milieux où la compétition fait rage.
D’ailleurs, certains experts estiment que la proportion de dirigeants présentant des tendances psychopathiques dépasse largement celle observée dans la population générale – de 10 jusque 20 % selon les études. Cela suggère qu’une frange non négligeable de nos élites pourrait correspondre à la définition clinique du psychopathe « fonctionnel », c'est-à-dire de celui en costume-cravate plutôt qu’en tenue de prison.
Culture du « toujours plus » : un terreau favorable
Au-delà des individus, c’est tout un système qui semble valoriser et amplifier ces traits. Notre époque d’hypercompétition et de quête du “toujours plus” – plus de profit, plus de parts de marché, plus d’audience – crée un environnement taillé sur mesure pour les personnalités psychopathiques. Dans nombre d’organisations, on encourage une culture du contrôle absolu, de l’ambition démesurée et de la guerre de tous contre tous. Comme l’écrit Cameron Reilly :
« [certains] veulent tout posséder. Ils veulent tout contrôler. Assez n’est jamais assez. Ils ont une mentalité du gagnant-rafle-tout – loi de la jungle : tuer ou être tué. [Ces gens] finissent souvent au sommet — parce que le reste d’entre nous les laisse faire ».
Face à leur appétit insatiable de pouvoir, la plupart des individus honnêtes renoncent à lutter : qui d’autre qu’un psychopathe peut mentir, tricher et exploiter sans perdre le sommeil, avec pour seul objectif d’être en position dominante ? Et effectivement, « les psychopathes ne perdent pas une minute de sommeil. Bien au contraire, ils dorment mieux en sachant qu’ils sont en train de #GAGNER ».
Le loup de Wall Street ou le psychopathe en col-blanc-costume-cravatte
Robert Hare, qui reprend les 3 aspects personnalité antisociale, narcissique et machiavélisme , soutient l'aspect suivant ;
“Si les tueurs en série détruisent des familles… les psychopathes du monde des affaires, de la politique et de la religion détruisent des économies. Ils détruisent des sociétés.” Christopher Bayer, psychologue intervenant auprès de professionnels de Wall Street, estime que le taux de psychopathes dans le secteur des services financiers pourrait atteindre 10 % — voire davantage. »
Le film d'Oliver Stone, Wall Street, est un excellent exemple de ce qui se passe à l'échelle des organisations, voire du monde. Alors que le réalisateur souhaitait dénoncer les aspects sombres de cet univers et des individus qui le composent, il se produit tout l'inverse :
“Gordon Gekko was an immoral character that became worshipped for the wrong reasons.” « Gordon Gekko était un personnage immoral qui a été idolâtré pour de mauvaises raisons. »
Pour plusieurs générations, le personnage principal est devenu un "héros", un "modèle à suivre", enivré par le succès, la richesse, son besoin constant de réussite, son manque d'empathie. En somme, il est devenu la figure mythologique de notre monde contemporain : le Roi de la jungle.
Gordon Gekko, plus que tout autre, a été le promoteur de cette idéologie cynique en proclamant que « la cupidité, c’est bien ». Ce qui était satirisé à l’écran est devenu le modèle de nos sociétés : managers obnubilés par les indicateurs de performance, maximisation des gains à court terme, absence de vision "écologique" (au sens large : lien avec l'environnement et son bien-être).
Une conclusion s'impose : les psychopathes dirigent le monde !
Etat du monde : les psychopathes ont de la marge
Croissance, rendement, compétitivité : autant de mantras qui, pris sans contrepoids éthique, valorisent implicitement les comportements les plus durs. Une étude de 2019 a ainsi montré que les employés percevaient souvent les dirigeants agressifs et dominateurs comme plus compétents, alors même que ces traits relevaient d’un leadership toxique. On assiste alors à un cercle vicieux : les personnalités les plus impitoyables définissent la norme, façonnant des organisations à leur image.
La conformité à une culture d’hyper-contrôle « top-down » élimine peu à peu les personnalités plus empathiques ou intègres, jugées incompatibles avec l’agressivité requise pour “réussir”. En ce sens, la société actuelle, dans cet aspect systémique et sa structure pyramidale, agit comme un filtre qui retient et promeut les individus aux traits psychopathiques.
Evidemment j'ai orienté cet article sur l'entreprise. Mais ces principes se retrouvent malheureusement à l'échelle beaucoup plus globale : dans les administrations, dans les organisations (qu'elles soient politiques ou même charitatives d'ailleurs), dès qu'un groupe d'individus est organisé autour d'un pouvoir important, ai-je envie d'ajouter.
Fraude à gogo et impunité des élites
Les conséquences de cette évolution culturelle sont de plus en plus visibles. On assiste à une explosion des fraudes, scandales et abus de pouvoir dans les sphères managériales, politiques et même religieuses. Chaque nouvelle affaire – détournements financiers, corruption d’État, scandales d’abus sexuels couverts par une hiérarchie religieuse – soulève l’indignation du public. Mais force est de constater que, bien souvent, les coupables aux commandes s’en tirent avec peu ou pas de conséquences.
Quelques exemples, avant qu'on me dise "Elodie, tu exagères". Crise financière de 2008, causée par l’avidité et l’irresponsabilité de banquiers ; scandale Volkswagen (Dieselgate), où des dirigeants ont délibérément fraudé sur les émissions polluantes de millions de véhicules ; affaire Enron, où les plus hauts responsables d’une entreprise jadis florissante ont truqué des comptes au mépris de leurs employés et investisseurs. En France, il suffit de lever la tête vers les plus hauts sommets de l'Etat et de ses organisations pour comprendre l'envergure du problème.
Le point en commun de ces faits ? La fin (le profit, le pouvoir) justifie toujours tous les moyens.
En matière de criminalité en col blanc, le sentiment d’impunité est tenace. Chaque année, les délits financiers et fraudes des entreprises coûtent des centaines de milliards de dollars à l’économie mondiale, et pourtant très peu d’auteurs finissent derrière les barreaux. Et c'est vrai pour tous les pays.
Ces réalités dressent le constat amer d’une justice à deux vitesses, où les puissants échappent largement aux conséquences de leurs actes, alimentant l’aura d’invincibilité des « psychopathes en col blanc ». Pour la société, le coût est immense : érosion de la confiance dans les institutions, salariés et citoyens sacrifiés, environnement saccagé… Autant de « dégâts collatéraux » d’un leadership dévoyé.
Cette épidémie de psychopathes aux manettes n'est-il pas l'un des plus grand problème mondial actuel ? C'est un facteur aggravant tous les autres (crise climatique, conflits, inégalités). C’est dire l’ampleur de la menace systémiques que représentent ces prédateurs sociaux en position de commande.
Un constat très rude : les 1% qui détiennent les richesses est-il ce pourcentage de psychopathe ?
Peut-être devrions-nous exiger des tests psychologiques plus aboutis pour les personnes ayant accès à des rôles décisionnaires importants. N'en va-t-il pas d'une obligation morale ?
Mais cela va plus loin : ce regard nous impose de transformer jusque notre rapport aux autres et à la société. Pour Cameron Reilly, c'est le capitalisme contemporain même qui tend à récompenser la maximisation du profit coûte que coûte :
« le capitalisme moderne a donné aux psychopathes accès à bien plus de pouvoir qu’ils n’en auraient eu il y a deux siècles ».
Je ne suis pas aussi certaine de cette affirmation. Mais il me paraît évident qu'une société corrompue, qui valorisent l'impunité, qui prêtent peu d'écoute aux mal-êtres,
En effet, le capitalisme contemporain tend à récompenser la maximisation du profit coûte que coûte. Comme le formule Cameron Reilly, « le capitalisme moderne a donné aux psychopathes accès à bien plus de pouvoir qu’ils n’en auraient eu il y a deux siècles ».
D'ailleurs, fait troublant, selon le rapport Oxfam le 1 % le plus riche possède à lui seul davantage que 95 % de l’humanité. Ce 1% n'est-il pas justement ce pourcentage de psychopathe ?! Cette montée d’une oligarchie mondiale qui concentre, sans précédent, le pouvoir économique leur permet de façonner les lois à leur profit et de neutraliser les contre-pouvoirs. Elle est pas belle ?
Quelques solutions s'imposent
Mais tout n'est pas perdu ! Déjà parce que nous avons une responsabilité collective. Tout cela est possible parce que nous laissons faire.
Première étape : renforcer les filtres à l’entrée. Les organisations les plus robustes utilisent aujourd’hui des protocoles d’évaluation combinant tests de personnalité, mises en situation, analyse du discours et évaluations 360°. On devrait insister pour que l'aspect anti-social soit pris en compte.
Deuxième étape : modifier l’architecture des incitations. Les systèmes de bonus basés sur le court terme, la compétition interne ou les logiques winner-take-all favorisent mécaniquement les profils les plus agressifs. À l’inverse, des KPI intégrant l’éthique, la stabilité d’équipe, la transparence ou la qualité relationnelle réduisent l’attractivité du poste pour les personnalités à froideur stratégique.
Troisième étape : restaurer des contre-pouvoirs internes. Comités d’audit réellement indépendants, dispositifs lanceurs d’alerte protégés, rotation des responsabilités clés, documentation des processus décisionnels : ces mécanismes réduisent la marge de manœuvre des prédateurs sociaux. D'ailleurs je connais même une entreprise où les profils décisionnaires sont tirés au hasard !
Enfin, un axe plus grand public essentiel : éduquer / sensibiliser les personnes à la sémiotique comportementale— la lecture du non-verbal, de la dynamique relationnelle, des dérives manipulatoires. C'est pour cela que je vous attends nombreux à ma prochaine MasterClass :)
Sources bibliographiques :
Cameron Reilly, The Psychopath Epidemic (2020)
Fallon, James H. (2013). Dans la tête d’un psychopathe (titre original : The Psychopath Inside).
oxfam.qc.ca Cameron Reilly, The Psychopath Epidemic – Parallèle 1 % de psychopathes vs 1 % détenant le pouvoir ; Rapport Oxfam (2024) – Statistique sur l’extrême concentration des richesses (1 % plus riches > 95 % de la population).
oxfam.qc.caoxfam.qc.ca Oxfam International (2024) – Alerte sur l’oligarchie mondiale et l’influence des ultra-riches sur les règles du jeu international aux dépens de l’intérêt général.
Étude sur le leadership toxique – Une recherche publiée dans Journal of Business Ethics (2019) a montré que des collaborateurs tendent à attribuer davantage de compétences à un leader aux traits narcissiques et dominateurs, malgré les effets démoralisants de ce style de management. (Réf. : <u>doi:10.1007/s10551-018-4054-4</u>)